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La nouvelle responsabilité pénale des sociétés

jeudi 5 janvier 2006

Auteur : Christian CURTIL [1]

Source : Les Echos Le 04-01-2006


La réforme entraîne des conséquences auxquelles les entreprises ne sont que peu préparées. Elles seront désormais plus exposées aux poursuites pénales.

L’article 54 de la loi Perben II du 9 mars 2004, consacrée à l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, a étendu la responsabilité pénale de la personne morale à l’ensemble des délits et des crimes. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier. La seule exception vise les délits de presse, exclus du domaine de la loi, de sorte que tous les aspects du droit commun et du droit des affaires entrent dans le champ d’application de la responsabilité des personnes morales : les délits boursiers comme les crimes de sang, les délits d’imprudence comme les contraventions. Cette réforme conduira à une plus grande incrimination des sociétés comme des personnes physiques qui la composent.

On se rappelle que dans le mouvement de certains droits européens, c’est le Code pénal de 1994 qui introduisit la responsabilité de la personne morale en conséquence de la faute de la personne physique. Mais des critiques s’étaient élevées contre le fait que certaines infractions entraînaient la responsabilité des sociétés et d’autres pas. Ainsi l’abus de confiance et le vol, mais non l’abus de bien social ou les infractions d’urbanisme. Le 1er janvier 2006 portera remède à cette incohérence, puisque toutes les infractions seront visées.

Des poursuites civiles

Les poursuites contre la personne morale vont-elles pour autant réduire la responsabilité pénale des personnes physiques, et en particulier celle du chef d’entreprise ? Il n’en est rien. Comme par le passé, la responsabilité de la société exigera que soit établie la faute préalable d’une personne physique, commise pour le compte de la société. La responsabilité de l’entreprise n’est pas recherchée si le coupable a agi dans son intérêt exclusif ; elle l’est en revanche, s’il a agi dans le cadre de ses activités. Ainsi, la personne morale ne commet pas l’infraction, mais est responsable de celle qui est commise par la personne physique. Le principe du cumul des responsabilités n’étant pas remis en question, on pourra poursuivre la personne morale aux côtés de la personne physique. Mais surtout, la réforme entraîne de nombreuses conséquences auxquelles les entreprises ne sont que peu préparées.

D’abord, en matière de délégation de pouvoir, imaginée bien sûr pour protéger le dirigeant social. Or, avec l’extension du domaine de sa responsabilité, l’entreprise va être beaucoup plus exposée aux poursuites pénales que par le passé pour les actes commis par les différents délégataires.

Parallèlement, de multiples actions pourront être introduites contre la personne morale par les salariés ou les créanciers d’une entreprise pour abus de biens social.

Jusqu’à présent, salariés et créanciers ne pouvaient se constituer partie civile qu’à l’encontre de la personne physique. A compter du 1er janvier 2006, l’action pénale dirigée contre la société pèsera d’autant plus fortement que la personne morale encourt une peine égale à cinq fois le montant de celle à laquelle est exposée la personne physique. A cela s’ajoute d’ailleurs le risque de sanctions complémentaires qui vont de la publication du jugement à la fermeture de l’établissement en passant par l’exclusion des marchés publics ou l’interdiction de faire appel public à l’épargne.

Pour autant, le dirigeant social ne sera guère plus protégé, car la loi nouvelle permettra, et c’est une autre de ses conséquences, des poursuites civiles à son encontre, soit un deuxième procès pour les mêmes faits devant une autre juridiction.

En effet, rien n’empêchera le plaignant de mettre en mouvement l’action publique par une plainte avec constitution de partie civile contre la seule société, puis d’agir au civil en dommages et intérêts contre le dirigeant sur le fondement de sa faute. Au reste, s’il agit sur le terrain répressif contre la société et la personne physique, la faute sera sanctionnée doublement et, s’agissant du seul préjudice moral, le plaignant pourra le cas échéant être indemnisé deux fois.

Accroître sa vigilance

Enfin, les salariés n’auront-ils pas intérêt à agir au pénal de préférence à la juridiction du travail ? Jusqu’à présent, le harcèlement moral, par exemple, ne permettait pas la responsabilité pénale de l’entreprise. Demain, il sera beaucoup plus efficace de déposer une plainte contre la personne physique et contre la personne morale, plutôt que de saisir le Conseil de prud’hommes, ne serait-ce que pour bénéficier des avantages des pouvoirs d’enquête de la justice pénale, et solliciter une indemnisation plus juteuse. Ne pourrait-on pas imaginer la même chose en matière de harcèlement sexuel ?

Ces illustrations pourraient être multipliées, car la réforme est plus lourde de conséquences qu’on ne le croit pour les entreprises. Aussi appartient-il désormais aux dirigeants d’être plus vigilants que par le passé et de s’assurer que leur dispositif de gestion des risques mis en place est suffisant pour maîtriser le risque pénal.



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